mardi 30 juillet 2013

255. Les bordels du goulag

1
Sortir de l’A380 pour entrer dans le Tupolev de la Russie soviétique, post-impérialiste et postféodale
La splendeur du Masque de l’affliction, rond et cyclique, trône au sortir de la ville, dans son pré carré
Perdus au milieu de Magadan, en face de la cathédrale de la Sainte-Trinité, l’horreur visée en croix
Les pages sombres, les seules auxquelles l’esprit ouvre ses pupilles comme des hublots qui demeurent
2
Les camps de la Kolyma surnagent au milieu de la houille avant de sculpter l’étain à partir d’un fil d’or
Parqués au milieu de l’immensité où les barbelés sont inutiles pour garder le cheptel des hommes forcés
Un travail en ligne de mire, le salaire apporté à la brouette, le visage émacié par les paillettes des blockhaus
Alors que les baraquements de mélèze se sont dilués dans l’acide de l’histoire derrière le paysage de l’oubli
3
Les collines immaculées furent crevées par l’invasion des solitudes kidnappées sur les pavés de Moscou
Un bastion géologique pris d’assaut par des ethnologues aurifères cherchant une larme au milieu des suées
Une position de monopole réservée aux vingt millions d’esclaves vendant leur chair pour creuser le canal
La radio de l’espoir servant à troquer une douzaine de kopecks contre le rouble d’une monnaie de singe
4
Le Dalstroi fut nommé par le Politburo, lors d’une nuit de plomb, des hommes à la chaîne et le Soviet en guide
Des brise-glace embarquant dans leurs pognes gelées des tractopelles et des bulldozers pour émailler le roc
Sous les ordres de l’OGPU et de Staline, signant des passeports vers l’exécution comme des sauf-conduits
Les détenus élastiques couraient de longues distances de Vladivostok à l’enfer où l’homme pelle sa conscience
5
Les forçats du rail ont bêché la route, leurs ossements posant le mastic entre les polycarbonates recyclés
Une punition exemplaire, sous l’égide d’E. Berzine, chef orpailleur, laissant des hommes les pelures charnelles
Empaillés vif dans des brouettes de bronze que les fantômes remplissent avec des ectoplasmes squelettiques
La Tcheka subissant le sort de la SA, les vieilles gardes conduites aux bûchers avec les trotskystes souriants
6
Sortant de la baie de Nagaiev, les gardes-frontières butent sur un autre périmètre, arrêtés en seconde catégorie
Nous partîmes d’Arkhangelsk avec des paysans ukrainiens, puis finir dans le trou étagé, quatre mètres sur huit
Dix sous terre, un nom fixe individualisant cette histoire, un texte de Chalamov protégeant l’enclos de l’esprit
Une récitation dans la mine dont les coups de pioche fabriquent les virgules, un jour où le bâillon devint inutile
7
Une raison de quota envoyait des tombereaux d’hercule sous les cendres des fournaises d’uranium
Les giclées sanguines faisant un lavis sur la roche détrempée par les graffitis improvisés des poètes
20 % de mortalité sur les rails septentrionaux qui expurgent les populations iakoutes de leur berceau
Les zeks collés au camp, l’esprit à vif, tous les camps de transit acheminant vers une même certitude
8
Rendus à la liberté, les hommes tombaient dans l’exil noir des cacophonies et de la vodka facile
Le scorbut dans la peau, des aiguilles de pin dans les poches, ce qu’attestent les fiches de police
Un million d’hommes, moins 15 % en raison de l’hiver, moins 1,2 % par fusillades, survécurent
À flanc de montagne que tapissent les circulaires et les moignons fournis par les engelures et l’amputation
9
Ces camps étaient infinis car illimités, embrassant jusqu’aux cieux où ils remontaient à la brouette
Quelques pépites roulant parfois sous les barbelés, qui en décrochaient l’écorce, des troncs de minerai
La cassitérite en guise de taïga, la concentration à l’air libre, l’enfermement sans paroi, soufflés par la brûlure
C’était un emprisonnement non carcéral dont les prisonniers collaient aux tuyauteries et aux générateurs
10
Entre la zone grise et l’« élastique de Krylenko » toutes les frontières de l’homme se dissolvent
L’exécutant et le bourreau tenant les deux bouts d’une corde appartenant aux imaginaires russes
Avant une balle dans la nuque, le corps enfoui dans le permafrost qui refusait de le décomposer

Réfléchi en surface par des lames d’acier qui déversaient la rocaille sur les corps revenant carbone

3 commentaires:

  1. Je t'ai retrouvé -
    Ce 2 novembre 14
    Pourquoi avoir cessé d'écrire ?

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  2. Cu + Sn + Pb

    Mon cœur est ciselé dans un écrin de cuivre
    Enfermé dans un corps qui se repaît d'acier
    Figé dans le béton par le sort d'une vouivre
    Je l'attendrais longtemps transie de lendemain

    Parquée de barbelés je cueillerai le givre
    De ce morne chagrin pour le voir s'émacier
    Je souffre d'un amour façonné pour survivre
    Qu'il en devient douleur car il est surhumain

    A cette âme imposer cette vie misérable
    Pour émailler ce roc qui n'est pas malléable
    Et ni les coups de pioche et ni le gris étain

    De cette vie de plomb rien ne fendra l'alliage
    De cette flamme d'or nul forçat nul pillage
    Ni mes larmes d'argent ni mon regard éteint.

    _____________02/11/2014______________pour toi.

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